L’immortalité numérique et ses impacts : un domaine de recherche en plein essor
En 2023, l’intelligence artificielle a franchi beaucoup de caps. Parmi ces derniers, celui de la vie éternelle, promettant de faire revivre vos proches disparu·es : de chatbots – appelés « deadbots » dans le jargon – reprenant le style conversationnel des défunt·es aux avatars numériques (« deep fakes ») offrant des possibilités d’interactions en réalité virtuelle, rien n’arrête les inventrices et inventeurs. Une réalité qui semble tout droit sortie d’un livre de science-fiction ? Pour le nouveau marché de la Death Tech, rien n’est plus réel que l’immortalité à l’ère numérique. Ici, la mort s’avère être un secteur d’innovation et d’investissement au potentiel immense. Pourtant, la question des traces numériques laissées par les disparu·es interroge les expert·es. « La mort à l’ère du numérique est un domaine encore peu étudié, dont les aspects culturels, juridiques et psychosociaux doivent être considérés à l’aune de nouvelles réalités technologiques », explique Francesca Bosisio, professeure à l'Institut interdisciplinaire du Développement de l'entreprise (IIDE) et Responsable du groupe thématique de compétence Management et Système de Santé, qui a collaboré à l’étude « La mort à l’ère du numérique », avec le CHUV, l’Université de Lausanne et le Laboratoire d’éthique de l’innovation Ethix.
Gadgets peu probants
Selon une récente étude, la vie digitale après la mort (appelée en anglais « Digital Afterlife ») représenterait un marché de quelque 120 milliards de dollars (USD, un peu plus de 100 milliards de francs suisses, ndr) par an dans le monde. « Bien au-delà des potentielles opportunités de services qu’offre la mort à l’ère du numérique, des questions plus essentielles se posent. », explique Francesca Bosisio. Selon l’experte, les gadgets que veulent développer les start-up qui se lancent dans ce secteur restent encore peu probants, et les gains largement surestimés. Néanmoins, la question de l’immortalité numérique se pose en des termes bien plus pragmatiques. À quels risques sommes-nous exposé·es lorsque nous laissons des traces numériques après notre décès et quelles sont les tendances à venir ? « Les données que nous laissons intentionnellement sont la pointe de l’iceberg de nos traces sur la toile », témoigne Francesca Bosisio. Et la chercheuse de mentionner les divers comptes e-mail, réseaux sociaux ou autres applications. Pour gérer ce patrimoine numérique, il existe des sociétés. « Cependant, il y a aussi toutes les traces involontaires : des historiques de navigation, des photos, des messages ». Ces informations, une fois décontextualisées, ont un potentiel d’impact non négligeable sur les proches endeuillé·es. « Le processus de deuil est celui de l’acceptation d’une séparation pour une nouvelle forme de relation avec ses défunt·es ; des notifications, même anodines, peuvent perturber les proches », explique Francesca Bosisio.
« La mort à l’ère du numérique »
Dans le cadre de cette étude, les chercheuses et chercheurs ont exploré différents sous-domaines, passant des questions psychosociologiques à celles éthiques, philosophiques et légales de la mort à l’ère numérique (voir le projet de recherche). Une étude a permis l’analyse en profondeur des risques et des opportunités offertes par ce secteur d’innovation. « Nous avons pu mettre en évidence le fait qu’à ce jour, rien ne protège les proches ou les défunt·es en Suisse », argumente l’experte, « Les mesures légales permettant de mitiger les risques liés au secteur du "Digital Afterlife" à l’étranger sont aussi anecdotiques », ajoute la chercheuse.
Testament numérique
Comment alors s’y retrouver et quelles bonnes pratiques mettre en place ? « Je pense qu’il est primordial aujourd’hui, en l’attente d’un cadre légal plus précis, de parler avec ses proches de comment on souhaiterait gérer son patrimoine numérique, au même titre que son patrimoine matériel », conclut Francesca Bosisio.